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L’échec est le fondement de la réussite

 

Nos échecs nous construisent car ils ne sont que la conséquence naturelle d’une tentative réelle d’obtenir le succès.« L’échec est le fondement de la réussite » a dit Lao Tseu. Dans le même ordre d’idée, Sensei m’expliquait un jour, que c’était nos échecs qui nous construisaient.Dans les arts martiaux, nous sommes souvent confrontés de manière brutale à notre incapacité à reproduire et à comprendre ce que l’enseignant désire nous transmettre. Pour obtenir la réussite, il faut s’entraîner durement pour atteindre la vérité.Notre vie se passe en apprentissages variés. Rien ne peut s’acquérir sans efforts longs et pénibles de notre part. Ceci est valable pour toute étude. Un étudiant en violon doit répéter ses gammes pendant des heures avant de réussir à dépasser la forme et devenir capable de « vivre » sa passion.C’est la dure réalité du travail de l’apprenti. L’homme passe toujours par trois étapes successives : la forme mécanique (Taihen), l’expérience (Kûden), le mouvement naturel (Shinden).Pour l’enseignant, le début de l’année est souvent une remise en cause profonde de ses connaissances. Hatsumi Sensei choisit un thème de travail mais peu nombreux sont ceux qui peuvent aller au Japon pour y apprendre le nouvel axe technique.Depuis quatre ans, Sensei avait choisi le thème annuel parmi les écoles du Bujinkan. Les techniques étaient en notre possession. L’apprentissage en était facilité par le travail effectué au Dôjô, durant les Taikai ou au Japon.Cette année, le thème choisi n’est lié à aucune école. Il s’agit d’un concept, d’une sensation : « Koteki Ryûda Jûppô Sesshô no Jutsu ». Cela peut se traduire par « la rencontre des techniques du tigre et du dragon dans les trois dimensions ». De plus, Sensei nous enseigne ce principe par le travail d’armes peu connues de la majorité des pratiquants.Ces armes sont les suivantes : le Kunai (lame non affûtée, équipée ou non d’une corde lestée d’un poids) ; le Kyoketsu Shôge (couteau à double lame, équipé d’une chaîne lestée par un anneau en métal) ; le Tessen (éventail en métal) ; le Ninjatô (sabre Ninja) et le Nitô Jutsu (combat avec les deux sabres de façon simultanée).Inutile de préciser que ni la traduction donnée plus haut, ni l’étude de toutes ces armes, ne facilitent le travail du pratiquant désireux de s’immerger dans cette nouvelle dimension technique.Mais alors comment découvrir ce nouveau concept et comprendre le maniement de ces armes sans avoir l’expérience d’un enseignement direct avec le Sôke ?Nous avons répondu à cette problématique au Bujinkan France en découpant le travail en deux modules : D’un côté le travail des armes ; de l’autre, le concept philosophique proprement dit. Ces deux modules sont étudiés en parallèle au Dôjô et leur compréhension progressive nous a permis de nourrir chaque module par les acquis réalisés dans l’autre.En ce qui concerne les armes, il faut différencier le travail avec les sabres, du travail avec les autres armes (Tessen, Kunai, Kyoketsu Shôge, Nawa Jutsu).Le travail avec les sabres est une évolution naturelle des connaissances déjà acquises dans l’étude du maniement du sabre dans l’école Kukishinden (voir Ken, Tachi, Katana) et dans l’école Togakure (voir Ninja Biken). Le travail avec le Ninjatô, plus court qu’une lame normale, n’amène qu’un changement minime dans le travail des postures, de la distance et des angles.Le travail avec les deux sabres ne pose pas non plus de problème majeur. Nous avons tous en mémoire les films de cape et d’épée de notre enfance qui présentaient de nombreuses scènes de combat avec l’épée et la dague.En Nitô Jutsu, il faut simplement adapter nos techniques : changement des distances, prise en compte de nouveaux angles de coupe en émission et en réception. Il faut aussi s’habituer à penser chaque bras de façon individuelle et simultanée. Il faut arrêter de penser aux sabres car ils ne sont que l’extension naturelle de nos bras. Le Tessen, n’est jamais qu’un compromis en taille et en qualité entre le maniement du Tantô et celui du Kunai. Le couteau étant déjà connu, il nous suffit de nous concentrer sur le travail au Kunai.Le Kunai n’est pas un couteau, il faut plutôt le voir comme un marteau et l’utiliser en conséquence. Les Ninja s’en servaient pour creuser le sol, faire des pièges (avec le Kunai Fundo) ou escalader les murs des châteaux. Non tranchant, il peut se saisir par les deux bouts ce qui le rend très similaire dans son utilisation à un Hanbô.L’étude du Kunai doit avant tout porter sur l’allongement de la distance donnée par l’arme. L’erreur la plus courante est de l’utiliser en pliant le bras ce qui nuit à l’efficacité du déplacement.Travailler une technique connue avec une arme inconnue permet au pratiquant de se servir de l’expérience du mouvement à mains nues et de l’adapter au nouvel outil. C’est pourquoi le travail des Kihon Happô et du Sanshin no Kata s’est imposé dès le début de l’étude de cette arme.En parallèle avec l’apprentissage du Kunai, nous avons consacré une partie de chaque cours au Nawa Jutsu. Cela nous a permis de faire des progrès rapides. Les élèves sont maintenant capables de faire plus dix nœuds différents des deux mains !Une fois le maniement de base du Kunai et de la corde acquis, nous avons abordé le travail du Kunai Fundo (Kunai avec la corde et le poids). En la tenant par la pointe, l’arme sert de lanceur et permet d’atteindre des angles impossibles à obtenir avec la corde seule.Nous avons ensuite appliqué ces connaissances à des mouvements plus complexes contre attaques à mains nues et au sabre. Il était logique de commencer par l’étude du Kunai avant de passer à celle du Kyoketsu Shôge car celui-ci est tranchant. On ne peut pas le saisir par les deux bouts.Dans notre approche, l’apprentissage du Kyoketsu doit donc passer par l’adaptation des techniques étudiées avec le Kunai. Cette manière de procéder est importante si l’on veut construire notre mouvement de façon progressive.Dans le cycle d’apprentissage présenté au début de l’article, nous avons vu qu’il nous fallait suivre un cycle naturel de trois phases consécutives pour acquérir une nouvelle connaissance : Taihen, Kûden et Shinden.A chaque fin de cycle correspond un nouveau début de cycle supérieur qui amène à un nouvel apprentissage mécanique. Ces apprentissages successifs sont comme les spires d’un ressort. A chaque fin de cycle nous montons d’une spire et remettons en jeu les connaissances obtenues au niveau précédent.Nous avons donc basé l’apprentissage des distances au Kunai sur nos connaissances des bases. Le Sanshin no Kata et le Kihon Happô étaient notre Shinden de départ. Notre Taihen fut donc l’apprentissage des distances et des angles dus à l’extension du bras donnée par le Kunai. Le travail au Dôjô nous a donné le Kûden. Cela a amené à un nouveau Shinden introduisant au Taihen du travail au Kyoketsu.Tout nouvel apprentissage est basé sur des acquis précédentsComme le répète Hatsumi Sensei : « toute technique d’école n’est que l’interprétation des techniques et des principes des écoles que vous avez travaillés auparavant ». La démonstration qui précède montre comment on doit envisager l’étude de l’art martial en l’absence de tout entraînement avec Sensei. Ce faisant, on doit bien comprendre que cette approche, aussi logique soit-elle, ne prendra de réalité qu’avec les mouvements étudiés en cours avec lui. Et c’est pourquoi, les enseignants le rencontrant régulièrement, sont les seuls capables de progresser et d’intégrer de la nouveauté à leurs mouvements.Nous savons que le « Jûppô Sesshô no Waza » se compose de cinq techniques de Jutte Jutsu. Il s’agit de : Kiri no Hito Ha (feuille de Pawlawnia), Rakka (pétales tombés), Mizu Tori (oiseau aquatique), Gorin Kudaki (briser le stupa) et Mawari Dori (capture tournante). Quatre de ces formes se retrouvent sur la cassette Jutte Jutsu dans les techniques avancées. Il est aussi conseillé d’adapter au Kunai, l’enchaînement des frappes au Jutte démontré au début de la cassette.Maintenant abordons le « Koteki Ryûda Jûppô Sesshô no Jutsu ». En décembre dernier, Sensei nous a parlé de trois concepts permettant de saisir le thème de l’année.Le premier était « San Jigen no Sekai » qui signifie « le monde de la troisième dimension ». Le second était « Jûppô Sesshô » ou « rencontre/absorption dans les dix directions ». Le dernier était « Mienai Waza » ou « technique qu’on ne peut ni voir ni deviner ».Voyons-les ici en détail.« Le monde de la troisième dimension » est à comprendre dans son acception spatiale et temporelle. Le mot « Jigen » (dimension) est composé de deux caractères « Ji » et « Gen ». « Ji » signifie « à suivre, suivant » ; « Gen » signifie « il y a fort longtemps, source, origine ».Là où l’Occidental ne voit qu’une troisième dimension spatiale (profondeur), l’Oriental y devine une réalité temporelle. Cette troisième dimension pour l’Oriental, plonge ses racines dans les actions réalisées dans notre passé, immédiat ou non. La dimension s’inscrit donc à la fois dans l’espace et dans le temps.A la lumière de ce que nous venons de préciser, « Jûppô Sesshô » prend une connotation plus profonde. « Jûppô », les dix directions représente les huit directions du plan auxquelles sont ajoutés le haut et le bas.C’est aussi le « sens » du mouvement déterminé par l’attaquant car consécutif à ses actions antérieures. Le mouvement n’existe plus seulement sur le plan mais dans le volume.Il nous faut maintenant visualiser une sphère d’action, passer de la vision du serpent à celle de l’oiseau. Et appliquer cela dans les trois moments du temps : le passé qui est déjà déterminé ; le présent qui impose l’action et le futur dans lequel vous vous réalisez.Il en découle que les évènements vécus par Uke avant la rencontre avec Tori ont une influence sur la façon dont il envisage le combat (passé). La résultante des actions du moment n’appartient déjà plus à Uke mais à Tori (présent). Le futur devient prévisible puisqu’il n’est que la conséquence des actes de Uke, au-delà de sa conscience et de son souvenir.Du coup, ce « Mienai Waza » qu’on ne peut voir, n’existe pas ou n’existe plus car sa réalité dépasse l’instant. Cela a été déterminé par des actions qui échappent à la perception des deux adversaires. Cette compréhension hautement philosophique de la réalité du combat est implicite dans la définition même de : « Koteki Ryûda Jûppô Sesshô no Jutsu ».Le lien entre « Ko », le tigre et « Ryû », le dragon est ténu. « Teki » : pincer du bout des doigts, symbolise ici la bascule permanente de Tori entre deux états d’esprit, celui du tigre et du dragon. Le dragon est sage, âgé, il voit les choses de loin et de haut. Le Tigre est fort, persévérant, il est présent sur le terrain. Tori est à la fois dragon et tigre suivant l’évolution de la situation.Le Dragon (Ten) voit et détermine les actions que le Tigre (Chi) met en application en les adaptant à son environnement. Le Dragon est stratège, le Tigre est tacticien.Tori, tour à tour Tigre et Dragon, suit les sensations du moment sans s’attacher à un résultat prévisible. Uke n’est qu’une excuse à l’excellence de Tori. Comme dans « Banpen Fûgyô » (dix mille attaques, pas de surprise), Tori devient capable d’adapter par avance, ses mouvements aux attaques de Uke.Uke croit avoir l’initiative sur Tori alors qu’en réalité, chacun de ses mouvements est déjà intégré dans la perception supérieure de Tori.Ce nouveau système conceptuel est accessible aux seuls pratiquants prêts et capables de remettre en cause les fondations mêmes de leur compréhension de l’art martial. Cette remise en cause est toujours pénible et c’est à cela que nous invite Hatsumi Sensei à chaque début d’année.Cette difficulté croissante dans la perception d’une réalité toujours changeante et toujours plus profonde est à mon sens la raison majeure de l’abandon de nombreux pratiquants. Le Bujinkan est une école de dépassement permanent, dans laquelle toutes nos certitudes apaisantes ne valent que sur l’instant.Pour comprendre la pensée martiale de Maître Hatsumi il faut accepter de ne jamais réussir tout en donnant son maximum sur le Tatami. Beau paradoxe ! Nos échecs nous construisent car ils ne sont que la conséquence naturelle d’une tentative réelle d’obtenir le succès.Pour vous aider à accepter ce mécontentement permanent, je vous invite à méditer cette phrase de Gandhi : « C’est dans l’effort que l’on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire ».

 

Arnaud Cousergue

 

 

 

 

 

 

 

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